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mpOC | Posté le 6 juin 2011
chroniques de livres - Jean Gadrey, Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Les Petits Matins, 2010, 189 p.
Proche d’Attac, l’économiste français Jean Gadrey s’est lui aussi rapproché avec le temps des thèses de la décroissance, sans toutefois s’en revendiquer formellement, ce que dénote le titre de son dernier essai. On le connaît comme un spécialiste des indicateurs alternatifs de richesse. Cet aspect-là, qu’il développe le plus, apporte une précieuse contribution technique au débat. Ainsi, plusieurs tableaux nous montrent que la corrélation entre produit intérieur brut (PIB) et satisfaction de vie quotidienne disparaît au-dessus d’un revenu annuel de 15.000 dollars ; que les dépenses de santé au-dessus de 18.000 dollars ne sont plus corrélées avec l’espérance de vie, dans 29 pays ; que, généralement, PIB et espérance de vie ne sont pas nécessairement corrélés ; idem avec le taux de scolarisation, au-dessus de 12.000 dollars de revenus. Par contre, en matière de durabilité écologique, il y a bien une corrélation entre le PIB/habitant et les émissions de gaz à effet de serre/habitant, ce qui ruine la thèse du découplage possible entre croissance et consommation de ressources naturelles, défendue par les adeptes du « développement durable ». La « croissance verte », symbolisée par la voiture électrique ou encore les OGM, est ainsi une « utopie scientiste », nous rappelle l’auteur. « Autant savoir, écrit-il, qu’une croissance de 2% par an d’ici à 2100 veut dire en gros six fois plus de quantités produites. Et quarante fois plus en 2200, etc. » (p. 53) Ce n’est pas non plus la fantasmatique « croissance immatérielle » qui risque de sauver la mise. Le technoscientisme seul ne caractérise pas la société industrielle ; encore a-t-il fallu organiser la « production institutionnalisée de l’avidité permanente » (p. 64) par le marketing, la publicité, l’individualisme, la concurrence inter-personnelle et l’exploitation des inégalités.
Dans la seconde partie, l’auteur passe aux propositions, dont celle, scandaleuse aux yeux de l’économie orthodoxe, de renoncer aux gains de productivité – ceux-là même qui ont essentiellement permis la croissance – pour retrouver un meilleur taux d’emploi. Il essaie de montrer que l’on peut avoir un développement économique durable, innovant et riche en emplois, sans croissance des quantités, dans plusieurs domaines : le commerce de détail, la production d’énergie et les services. Il se risque même à une prospective de l’emploi par secteurs (pp. 109-111) en montrant où se trouveront les gains (énergie, agriculture, bâtiment, réparations, administrations locales, artisanat, etc.) et où l’on enregistrera des pertes (transports émetteurs de gaz à effet de serre, postes, banques et tourisme à longue distance).
Le chapitre 5 est consacré à la décroissance. Gadrey s’y montre favorable, mais l’interprète comme une croissance négative qui ne répond pas clairement à la question de l’avenir de l’emploi et de la protection sociale. Car il faudra bien, selon lui, au contraire redoubler de travail pour pallier la perte de productivité annoncée et réparer les dégâts. La dernière partie est un plaidoyer pour une « société du bien-vivre » égalitaire qui tienne compte autant des besoins sociaux que des exigences écologiques. Le mythe d’une croissance indispensable pour enrichir les pays du sud est battu en brèche par l’auteur, qui s’attaque ensuite à l’épineux dossier du financement de la sécurité sociale en précisant que « les retraités du futur n’ont pas besoin d’une croissance qui va leur pourrir la vie, mais de partage des richesses et de réduction des inégalités. » (p. 146) Il a aussi la bonne idée d’expliquer, en neuf points, pourquoi il ne faut pas compter sur un capitalisme rénové pour trouver des solutions acceptables. Celles-ci seraient plutôt à trouver dans la société civile, l’économie sociale et solidaire (avec des limites), les services publics et certains acteurs institutionnels. Gadrey termine sur une note optimiste : dans l’immédiat, les ressources existent, notamment celles de la fiscalité et des monnaies complémentaires, sans oublier la force des alternatives. Reste à leur faire prendre conscience de leur puissance et à les fédérer.
Bernard Legros