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L’Escargot déchaîné n° 32

mpOC | Posté le 4 juillet 2017

Édito :

Le capitalisme survivra-t-il à l’effondrement ?

Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme, avance malicieusement Slavoj Žižek. On peut en effet se demander si la catastrophe globale qui s’annonce de partout signerait l’arrêt de mort de ce système, lui aussi global. À cause précisément de cet aspect global, on serait tenté de répondre par l’affirmative, mais restons prudents !

Si l’on caractérise largement le capitalisme comme l’habitude immémoriale de dominer ses semblables de diverses manières, alors un monde à la Mad Max, où des mafias auraient remplacé l’autorité des États, serait à fois post-apocalyptique et capitaliste à sa manière. Mais il y aurait là abus de sens. Resserrons et historicisons la définition. Depuis le XIXème siècle, le développement du capitalisme s’appuie sur un macro-système technique et industriel – créé lui-même par les investissements capitalistes, en un processus de renforcement mutuel – et sur l’État. Aujourd’hui, la fuite en avant dans la technoscience, civile et militaire, et dans la cybernétique (devenue numérique) est le principal moyen, mais pas le seul (1), qu’ont trouvé les dominants pour poursuivre l’accumulation de valeur. On peut dès lors parler de techno-capitalisme, mais un techno-capitalisme qui n’empêcherait toutefois pas de faire ressurgir des formes d’exploitation du passé, néo-esclavage, néo-servage et prolétarisations de toutes sortes, comme du côté de Foxconn et Dubaï.

Seulement, plusieurs problèmes insolubles se posent à eux, et rien ne dit qu’ils feront preuve du « génie » nécessaire pour les surmonter, car tout n’est pas qu’une question de génie, justement. Parmi ces problèmes, ceux relevant des limites géophysiques semblent les plus déterminants. Primo, il y a la déplétion des ressources naturelles, et d’abord des fossiles, dont l’usage intensif a permis l’essor du capitalisme depuis cent cinquante ans. Ajoutons-y celle des métaux et du sable marin. Secundo, les conséquences des dérèglements climatiques sont immaîtrisables à moyen et long terme. À moins de retenter l’expérience ratée de Biosphère II (2) ou de fonder des colonies spatiales – ce qui est à nouveau illusoire sur le plan énergétique –, les capitalistes, même s’ils ont les moyens de se mettre provisoirement à l’abri (3), finiront par tomber « d’autant plus haut qu’ils ont atteint des niveaux élevés d’opulence » (4). Voilà une nouvelle qui nous console… très peu ! Car non contents d’avoir édicté les règles du jeu pendant la longue période de croissance (du XIXème à nos jours), ils décideront en plus de la plongée de l’humanité dans l’enfer sur Terre.

C’est donc la nature qui risque d’être l’accélérateur du changement social, mais un changement à coup sûr chaotique. Par contre, le système capitaliste trouvera moins de résistance chez les populations. Émettons une hypothèse : tant qu’il parviendra à pourvoir à leurs besoins de base et à leurs envies de consommation, il a encore de beaux jours devant lui. Autrement dit, tant que fonctionneront normalement les technologies de l’information et de la communication (TIC), que seront régulièrement approvisionnés stations-services et supermarchés, il n’y a pratiquement aucun risque de révolte. Est rejouée sans fin cette tragi-comédie du pain et des jeux. Pouvant encore durer quelques décennies, cette situation est à mettre en lien avec l’analyse inusable de La Boétie sur la servitude volontaire. En 2017, on en est arrivé à une forme raffinée : dans un lycée du Québec, une majorité d’élèves ont refusé de lire 1984, le célèbre roman d’Orwell que leur proposait leur professeur de philosophie (5). Motif ? Ça ne les intéresse pas de prendre connaissance des mécanismes de la domination et de la surveillance car celles-ci ne les dérangent pas ; ils ne considèrent que les avantages des TIC. Avec des masses se satisfaisant des ombres de la caverne de Platon, oublieuses de la démocratie (6), heureuses de consommer (7) et soutenant, intérieurement et extérieurement, le progrès technique comme l’alpha et l’oméga de l’organisation sociale, le capitalisme a encore de l’avenir, malgré tout. Que sortira-t-il de la conjonction de la passivité politique d’électeurs-consommateurs complices du système et des chocs énergétiques, climatiques et écologiques ? Réponse dans le futur à moyen terme.

Bernard Legros

La suite est à découvrir dans le document ci-annexé :

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L’Escargot déchaîné n° 32

SOMMAIRE

  • Le capitalisme survivra-t-il à l’effondrement
  • Les citations du mois
  • Questions de société :

- Bilan personnel des débats sur une consultation populaire

- La Mesure de toutes choses

  • L’actualité en chiffres…
  • Le dossier du mois : Libéralisme ou individualisme : l’oubli de narcisse ne l’oublie pas
  • Environnement : Architecture conviviale
  • Témoignage : Ma soirée dans les caves de l’OTAN
  • Économie : Résistance des femmes aux mesures réduisant leurs maigres revenus
  • Politique : Dites-moi, Monsieur Hulot
  • Aux origines de la démocratie représentative : le berceau d’un oxymore
  • Le dictionnaire Novlangue
  • Le coin lecture : Un millénaire de simplicité volontaire en occident
  • Histoire d’une dystopie : Axel(le) au pays des phobiques de la pensée (partie 1/5)
  • Agenda

NOTES de l’édito

  • 1. Parmi les autres moyens, citons l’extension des brevets, l’extractivisme, ainsi que les tentatives de réduire la durée du sommeil, ce temps « improductif ».
  • 2. Biosphère II fut une expérimentation scientifique menée durant les années 1990 dans le désert d’Arizona, sous un dôme fermé reconstituant les divers biotopes terrestres. Considérée comme un échec, elle visait à étudier les conditions de vie dans une colonie spatiale, et même sur Mars.
  • 3. La Nouvelle-Zélande est leur eldorado de remplacement. Cf. « Les géants de la Silicon Valley se préparent à l’apocalypse », in Le Soir en ligne, 11 février 2017.
  • 4. Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur préface à Renaud Duterme, De quoi l’effondrement est-il le nom ? La fragmentation d’un monde, éd. Utopia, 2016, p. 23.
  • 5. « La révolte des conformistes » in Le devoir, 17 décembre 2016.
  • 6. « La déconsolidation de la démocratie est en marche » in Philosophie Magazine, n° 106, février 2017, p. 17.
  • 7. En Belgique, la consommation des ménages est en augmentation constante depuis 2008 (in Le Soir, 8 février 2017).
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